Il nous a été demandé, dans ce présent cas, de produire un petit cours d'eau artificiel s'inspirant des torrents de montagne afin qu'une petite population de truites puisse y migrer depuis un bassin profond en aval, filtré par un dispositif naturel dont nous devions aussi nous charger.
L'ensemble se devait de s'intégrer au mieux dans un espace transitionnel entre une zone paysagée et la forêt environnante avec, en guise de difficulté supplémentaire, un terrain presque plat et difficile, par sa nature, à travailler.
Après une étude préliminaire, un choix de configuration adapté et quelques nuits de mauvais sommeil eu égard aux nombreuses contraintes et au caractère singulier de cette passionnante demande, le chantier put débuter sereinement, au bon moment- le choix de la période d'intervention s'avérant prépondérant dans certaines régions où les terrassements sont susceptibles de transformer en immondes champs de bataille d'apparents paradis terrestres.
Le doigté d'un terrassier trié sur le volet, indispensable dans de tels cas, permit de former les bases de notre tumultueux cours d'eau savamment tracé au préalable en fonction des pentes, effets voulus, type et épaisseurs des matériaux à intégrer (gravier, galets, roches) en une proportion idéale pour le projet.
Chaque pierre s'est ainsi vue placée à la main à l'endroit qui lui correspondait le mieux, en gardant à l'esprit le but de l'aménagement aussi bien à un niveau global que microscopique, la microfaune devant elle aussi trouver refuge dans ce que nous préparions.
Comme dans bien des domaines, ce qui parait le plus simple nécessite des trésors d'attention, de patience et de travail pour donner l'illusion d'une évidence, et la qualité de la manutention est dans ce genre de circonstances un maillon essentiel de la chaine créative. Une chaleur écrasante, des pierres brûlantes et un travail physiquement très pénible n'auront pas démotivé l'équipe qui a su faire preuve d'un savoir-faire exemplaire dans l'accomplissement de cette tâche délicate.
L'eau qui alimente notre petit torrent arrive de deux sources distinctes, l'une filtrée, l'autre pas, ce qui permet d'avoir un débit suffisant pour son oxygénation et la circulation des poissons d'aval en amont.
Satisfaction finale, l'enthousiasme de notre client quand, comme nous, il s'est réjoui de voir l'eau rouler sur la pierre, imaginant déjà les fiers salmonidés qui seront introduits à la saison propice, quelques mois plus tard, après que le milieu se soit écologiquement stabilisé.
Cette dernière image date de novembre, elle ne laisse pas encore présager de la colonisation végétale qui s'organisera dès le printemps.
C'est ainsi que, quelques mois plus tard...
l'oeil avisé d'un pêcheur expert saura remarquer la présence d'une poignée de truitelles (10 à 15 cm à peine) au-dessus des graviers. Nous sommes en mai, et l'eau est d'une transparence remarquable (il y a à cet endroit une soixantaine de centimètres de profondeur), parfaitement oxygénée.
La végétation a bien évolué, les fougères-aigles reviennent et les plantes poussent allègrement dans et au dehors de la rivière et du petit étang. De très nombreux batraciens sont présents et d'innombrables alevins témoignent de la reproduction efficace des goujons et autres bouvières implantés avant l'hiver.
La lagune a elle aussi commencé à se végétaliser, même si les roseaux ne sont pas encore spectaculaires.
Ici l'on peut voir la confluence entre les deux arrivées d'eau, celle de la lagune et celle pompée directement dans l'étang, qui alimentent ensemble la rivière. On peut remarquer le début d'intégration de l'aménagement au milieu, l'idée étant qu'au final la transition entre l'espace créé et l'espace existant soit aussi discrète que possible.
La rivière passe juste derrière le Rhododendron en fleurs, pour se déverser dans l'étang sur la droite, entre les rochers.
Un an après les premières plantations, l'ensemble a pris belle tournure. Malgré un printemps extraordinairement sec et un été particulièrement froid, surtout la nuit (des gelées blanches mi-août!), la végétation s'est correctement implantée, faisant disparaître petit à petit le côté artificiel de la rivière.
La lagune s'est vue elle aussi largement colonisée, et un entretien modéré est nécessaire pour permettre le libre écoulement de l'eau dans la petite noue en son sein.
De fait, des truites un peu plus grosses ont été lâchées, heureuses de se régaler de l'abondant poisson-fourrage qui s'est largement reproduit dans la saison.
Au printemps suivant, les truites avaient très bien survécu à l'été et à l'hiver, explorant de plus en plus assidûment le cours d'eau.
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Un ange passe...
Après plusieurs années, l'aménagment commence à donner toute sa mesure. Des dispositifs supplémentaires agrémentent le site, sans pour autant choquer par une sophistication trop ostentatoire. C'est le cas, par exemple, de cette petite terrasse qui permet de profiter du plan d'eau en plein été, depuis une chaise longue.
L'ensemble reste d'esprit sauvage, et s'inscrit dans le cadre naturel de la propriété.
La rivière, ainsi que le lagunage et les bords du petit étang, évoluent au gré des saisons, année après année.
Les truites vont bien, ainsi que le poisson-fourrage (ici un banc de gardons), qui abonde pour leur plus grand plaisir.